Fact Check

L’alimentation représente-t-elle 80% de l’exposition aux perturbateurs endocriniens ?

Le 24 juin 2018, le toxicologue André Cicolella affirmait sur France Culture que « 80% de la charge totale en perturbateurs endocriniens vient de l’alimentation ». Plausible, ce chiffre n’est cependant pas étayé.

Dans l’émission « De cause à effets » diffusée le 24 juin 2018 sur France Culture, André Cicolella, toxicologue et président du Réseau Environnement Santé, déclarait :

« 80% de la charge totale en perturbateurs endocriniens vient de l’alimentation. »

André Cicollela (dessin Marie Desrumaux)

Contacté par téléphone, André Cicolella doute lui-même de l’origine de son affirmation. Restant vague, il indique que ce taux serait « une estimation de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) pour les grandes familles de perturbateurs endocriniens ».

Sur le site de l’Anses, la page consacrée aux perturbateurs endocriniens explique que des travaux ont été menés par les experts de l’agence « sur une trentaine de substances ». L’article mentionne également que ces études « ont conduit à part des expositions par voie alimentaire (80%) ». Lors d’une lecture rapide, il est possible d’en déduire que l’affirmation d’André Cicollela se fonde sur les travaux ayant abouti à ce chiffre.

Toutefois, le pourcentage évoqué ici provient de deux études relatives « aux effets sur la santé et aux usages du bisphénol A » datant de l’année 2013. Soit une substance bien spécifique. André Cicolella généralise donc abusivement le chiffre de 80% à l’ensemble des perturbateurs endocriniens.

Le bisphénol A, interdit dans les contenants alimentaires depuis 2015

Le bisphénol A (BPA) est une substance chimique de synthèse qui entre dans la composition de certains plastiques, résines, et encres. Il est utilisé  dans la fabrication de récipients alimentaires comme des bouteilles et biberons mais aussi de certains jouets. On le trouve également dans les films de protection à l’intérieur des canettes et des boîtes de conserves, et même sur les tickets de caisse.

Les humains peuvent être exposés au BPA lorsque la molécule se transfère du plastique à la nourriture. Ce phénomène se produit plus particulièrement lors de la cuisson ou du chauffage d’un aliment emballé dans du plastique. Le transfert de bisphénol A vers la nourriture peut également se produire lors de la dégradation des résines qui protègent l’intérieur des boites de conserve.

Les scientifiques se sont accordés pour affirmer que le BPA était un perturbateur endocrinien. Des études ont montré qu’il avait des effets sur la reproduction, le développement de cancers du sein et de la prostate, dans certaines pathologies cardiovasculaires, mais aussi dans l’apparition de troubles du comportement et du développement chez l’enfant.

La France a interdit la mise en vente de biberons contenant du bisphénol A en 2010. L’Union européenne lui a emboîté le pas en 2011. Depuis le 1er janvier 2015, tout contenant ou ustensile comportant du BPA et destiné à entrer en contact direct avec de la nourriture est interdit à la vente en France.

Pas de données pour l’ensemble des perturbateurs endocriniens

Sakina Mhaouty-Kodja, directrice de recherche au CNRS et experte auprès de l’Anses, confirme qu’il n’existe « pas de chiffre » concernant la part de l’alimentation dans l’exposition aux grands types de perturbateurs endocrinien. « Ce paramètre est propre à chaque molécule », explique la neuro-endocrinologue. On sait, souligne-t-elle, que « l’exposition à certaines substances, comme le bisphénol A ou les phtalates, se fait majoritairement par l’alimentation ». Mais dire que 80% des expositions à l’ensemble des perturbateurs alimentaires s’effectue par cette voie reste impossible à vérifier. « Il n’y a pas assez de données disponibles », conclut Sakina Mhaouty-Kodja.

Un avis partagé par Robert Barouki, biochimiste et toxicologue à l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale). « L’essentiel de la contamination aux perturbateurs endocriniens se fait par l’alimentation », affirme le chercheur. Et selon lui, les pesticides constituent « le gros du bataillon » des perturbateurs endocriniens présents dans l’alimentation.

O. Berger-Saraf, M. Bouillié, M. Burgaud, J. Claude-Jarrige, M. Desrumaux, P. Idczak, E. Meyer-Vacherand