Marine Le Pen affirme qu’un cargo émet autant de particules fines que toutes les voitures françaises. Une comparaison peu pertinente et partiellement fausse.
Le 6 novembre, quelques jours avant les premières grandes manifestations des gilets jaunes pour protester contre la hausse des prix des carburants, Marine Le Pen déclarait ceci sur Radio Classique avant de le tweeter :
"Un cargo de fret maritime représente, en termes de particules fines, l'équivalent de l'intégralité des voitures françaises… Il y en a 60 000 qui naviguent sur la surface du globe dans le cadre du libre-échange généralisé !" #ClassiqueMatin
— Marine Le Pen (@MLP_officiel) November 6, 2018
La déclaration de l’élue frontiste est en réalité partiellement fausse. On ne sait pas si un cargo émet autant de particules fines que l’ensemble des voitures du parc français. Il y a trop peu de données à disposition et trop de paramètres entrent en compte. Mais, sous certaines conditions, un cargo peut polluer autant en termes d’oxydes de soufre.
Une histoire de particules fines
Marine Le Pen évoque la pollution en termes de particules fines c’est-à-dire en PM2,5. Ces particules, d’un diamètre inférieur à 2,5 micromètres, pénètrent profondément dans les voies respiratoires.
Marine Le Pen compare un cargo, c’est-à-dire un navire destiné au transport de marchandises, à l’intégralité des voitures françaises soit, en 2017, 32 520 000 voitures particulières selon les chiffres de l’Insee.
Aucune donnée n’existe quant à la part de responsabilité des voitures dans l’émission des particules fines en France. Mais, selon les chiffres du Citepa (Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique), en France métropolitaine, le trafic routier, lui, représentait, en 2017, 14,4% des émissions de PM2,5.
Les cargos utilisent un des carburants les plus sales du monde
Les cargos, eux, utilisent du fioul lourd, appelé bunker oil. Ce carburant, très riche en soufre et en azote, est considéré comme un des carburants les plus sales au monde. Il émet ainsi beaucoup d’oxydes de soufre (SOx) et d’oxydes d’azote (NOx). Avec les composés organiques volatiles et l’ammoniac, ils sont les principaux précurseurs impliqués dans la formation des particules fines.
Peu de données existent quant à la part de responsabilités des cargos dans les émissions de particules fines. Mais en 2015 et 2016, France Nature Environnement (FNE), la fédération française des associations de protection de la nature et de l’environnement, a réalisé plusieurs mesures à Nice et à Marseille.
Charlotte Lepitre, responsable santé et environnement à FNE, explique que le fret maritime national et international (ferry, paquebot, porte conteneur, tanker, cargo) représente à Nice « environ 5 % des émissions de particules fines de la ville ». Mais l’été, lors des grosses périodes de trafic, au niveau du port de Nice, « le fret maritime peut être responsable de 40 à 50 % des émissions de particules fines ».
Le taux d’émission de particules fines du fret maritime varie donc qu’il soit mesuré en ville ou au port. Et celui d’un cargo « dépend d’un grand nombre de paramètres comme sa vitesse, sa taille, sa charge, son moteur, les vents et l’agitation de la mer. Ce qui rend difficile d’évaluer la pollution globale du fret maritime », concède Charlotte Lepitre. Il est donc peu pertinent de comparer la pollution d’un cargo et celle des voitures en France en termes de particules fines.
Un cargo utilisant un carburant à 0,1 % de soufre émettrait autant d’oxydes de soufre qu’un million de voitures
Charlotte Lepitre rappelle que, si les oxydes de soufre et d’azote sont des « précurseurs de particules fines», quand les équipes de FNE capturent des particules fines, « elles n’ont pas de données concernant la part de dioxydes de soufre ou d’azote qui se sont transformées en particules fines, même si, théoriquement, c’est presque l’intégralité ».
A défaut de comparer les émissions de particules fines d’un cargo et celles des voitures en France, il est donc possible de mettre en parallèle leurs parts de responsabilité respectives dans la pollution aux oxydes de soufre.
Selon des résultats estimés par FNE, dans le cas où le carburant d’un cargo contiendrait 3,5 % de soufre, ce cargo émettrait autant d’oxydes de soufre que 50 millions de voitures. Alors qu’un cargo utilisant un carburant à 0,1 % de soufre émettrait autant d’oxydes de soufre qu’un million de voitures.
L’OMI (Organisation maritime internationale), qui dépend des Nations Unies, a défini des zones de contrôle des émissions (ECA) dans l’Annexe VI de Marpol, la Convention internationale pour la prévention de la pollution marine par les navires. Depuis le 1er janvier 2015, dans les zones de la mer Baltique, de la mer du Nord, de l’Amérique du Nord et la zone maritime caraïbe des Etats-Unis, le plafond de la teneur en soufre du carburant est de 0,1 %. En dehors de ces zones, le plafond est de 3,5 %, soit 350 fois plus que celui des voitures (dont la limite autorisée est de 0,01 %).
En 2016, l’OMI a adopté une résolution afin d’abaisser la teneur en soufre des combustibles à 0,5 % au niveau mondial (hors ECA) à partir de 2020, au lieu de 3,5 %.
Une mauvaise interprétation des travaux d’un chercheur américainEn septembre, Check News, le site de fact-checking de Libération analysait une affirmation semblable qui circule sur Internet sous plusieurs formes depuis 2009 : « le nombre de bateaux peut être de 15, 16 ou 60, selon les cas. Ils sont soupçonnés, au choix, de polluer plus que toutes les voitures du monde, d’émettre davantage de particules fines ou bien de consommer plus de pétrole que le secteur automobile ». Selon Check News, ces chiffres viendraient d’une mauvais interprétation d’une étude datant de 2009 d’un chercheur américain, James J. Corbett. Contacté, ce professeur spécialisé dans l’impact environnemental et économique du transport maritime de l’université du Delaware, nous a renvoyés à une interview qu’il a accordée à la BBC. Il y explique que son calcul n’était à l’époque que purement théorique. Il considérait que si seize cargos utilisaient le pire fioul du monde, ils émettraient autant de dioxyde de soufre que toutes les voitures du monde utilisant le meilleur carburant possible. |
Pour découvrir comment ce fact-checking a été réalisé –> Pollution d’un cargo : le fact-checking expliqué dans un podcast
C.Ben Hmida, C.Brégand, J.Le Tellier, C.Mollereau, D.Regny, C.Robert-Motta