Derrière les faits

En attendant la preuve

La scène se passe dans la cervelle de Journaliste.

Lecteur : Bon, le glyphosate c’est dangereux ou pas ?

Journaliste (de bonne foi) : Je sais pas…

Lecteur : Non, mais, t’es sérieuse ? Comment tu sais pas ? Ça fait une semaine que tu travailles et tu sais pas ? Ils servent vraiment à rien les journalistes.

Journaliste : Je… En fait… Bah… Euh… Bon… Bah… Pfff… Hum… C’est… Je… Euh… Oui… Non… Peut-être… Mais… Bon, bah, bon, bon, bon, bah, euh, ouais, mais, bah, euh, pfiou, vi, mais, non, fin, bah, bon, bon, zip, wich, euh, boum, voilà…

Lecteur : Ouais, d’accord, merci. Très éclairant.

Glyphosate : Dangereux ou pas dangereux pour l’homme, telle est la question.

Monsieur Phil Hogan : Moi, je sais (c’est pour ça que je suis commissaire européen) le glyphosate ne présente pas de risque pour la santé des hommes.

Lecteur : Bah voilà !

Journaliste : C’est-à-dire que non, enfin, ça ne suffit pas, enfin ce n’est pas parce que Monsieur le dit que, enfin, c’est vrai… Il faut vérifier ses propos, quand même… Monsieur Phil Hogan sur quoi vous appuyez-vous pour affirmer l’absence de risque du glyphosate pour l’homme ?

Monsieur Phil Hogan :

Deux porte-paroles de Monsieur Phil Hogan : Monsieur Phil Hogan n’a pas l’habitude de commenter ses déclarations, surtout hors contexte. Je vous invite en revanche à lire le communiqué de presse de la Commission européenne et les Questions/Réponses publiés en 2017 sur notre initiative pour introduire une plus grande transparence des évaluations scientifiques sur le glyphosate.

Communiqué de presse de la Commission européenne : Glyphosate ne provoque pas le cancer et ne ne présente pas non plus de risque inacceptable pour l’environnement.

Glyphosate (heureux) : 🙂

Lecteur : Bah voilà !

Journaliste : C’est-à-dire que non, enfin, ça ne suffit pas, enfin, il faut savoir sur quoi se base la Commission pour conclure l’absence de danger pour l’homme de Glyphosate…

Communiqué de presse de la Commission européenne : Sur le rapport de l’Efsa, l’Autorité européenne de sécurité des aliments, dont plus de 6 000 pages ont été rendues publiques.

Lecteur : Et il dit quoi ce rapport ?

Efsa : Il est improbable que Glyphosate soit génotoxique (c’est-à-dire qu’il endommage l’ADN) ou qu’il constitue une menace cancérogène pour l’homme.

Glyphosate : Je suis gentil, je l’avais dit !

Circ : Peut-être pas tant que ça… Nous classons Glyphosate comme cancérogène probable.

Lecteur : C’est qui celui-là ?

Journaliste : C’est le Circ, le Centre international de recherche sur le cancer affilié à l’Organisation mondiale de la santé.

Glyphosate : Je suis cancérogène alors ?

Lecteur : Alors ?

Journaliste : Les scientifiques ne sont pas d’accord. Je peux pas trancher moi… J’ai pas les compétences nécessaires pour résoudre un conflit d’experts…

Glyphosate : T’as qu’à demander de l’aide à quelqu’un ! T’as appelé l’Institut national de la recherche agronomique- Inra ? Ou l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail – Anses ? T’as contacté l’Efsa pour vérifier ce qu’ils affirment ? Et le Circ ? Hein ?

Journaliste : Oui, oui, oui, oui.

Efsa :

Circ :

Inra : Merci de vous adresser à l’Anses. Voici le lien vers nos publications sur la question.

Anses : Nous n’avons vraiment pas le temps de vous répondre dans des délais aussi courts.

Lecteur : Pourquoi tu speedes aussi? T’as qu’à attendre.

Le lapin d’Alice aux pays des merveilles : Je suis en retard. Je suis en retard. Je suis en retard.

Journaliste : Le temps est un compte à rebours.

Sociologue apparaît.

Sociologue : Bonjour ! Vous avez pensé à restituer l’ensemble des prises de positions dans leur espace social de production entendu comme structure relationnelle, à la fois positionnelle et dispositionnelle, délimitant un espace du pensable et du problématisable ?

Journaliste : Euh…

Rédacteur en chef : Il vous reste deux jours. J’attends votre papier.

Sociologue s’évapore.

Journaliste (au bord de la crise de nerfs) : Rappeler. Renvoyer des mails. Utiliser son réseau (pas toujours très fourni). Insister. Harceler. Désespérer.

Laure Mamy, chercheur à l’Inra, entre. Elle sourit.

Journaliste : S’il vous plaît, vous pourriez répondre à quelques questions, c’est assez (très très très) urgent, je comprends rien entre les différents rapports scientifiques, et Lecteur attend, et je…

Laure Mamy : D’accord !

Journaliste : … Oh ! Merci !

Laure Mamy explique les différents biais méthodologiques entre les études.

Lecteur : Alors ?

Journaliste : J’ai compris. L’Efsa et le Circ n’étudient pas les mêmes choses donc ils ne peuvent pas aboutir aux mêmes conclusions.

Glyphosate : Bon, je donne le cancer ou pas ? J’aimerais bien savoir quand même… Je dois me préparer aux conséquences… La réponse pourrait fragiliser mon ego… Je devrais peut-être suivre une psychothérapie, faire mon autocritique, présenter mes excuses, donner de mon temps à des travaux d’intérêt général, m’exiler…

Monsanto surgissant : On parle surtout d’une possible perte de 4,24 milliards de dollars pour moi. Tes états d’âme Glyphosate me filent de l’urticaire.

Journaliste : Je ne sais toujours pas…

Le téléphone retentit. Journaliste décroche.

Journaliste : Allô ?

Anses (au téléphone) : Finalement on va vous répondre. Trente minutes d’entretien avec la directrice du pôle produits réglementés. Soyez efficace.

Journaliste : Madame Françoise Weber, merci de me répondre. Alors, le glyphosate, cancérogène ou pas ?

Madame Françoise Weber : La controverse continue. Nous allons mener une nouvelle étude pour essayer de trancher. Ce qui est certain actuellement, c’est que nous réévaluons les risques, avec de nombreuses précautions, des produits commercialisés afin de les autoriser ou non à la vente. L’idée est de restreindre au maximum l’utilisation du glyphosate dans les années à venir. Pour la cancérogénécité du glyphosate, rien n’est prouvé scientifiquement dans un sens ou dans l’autre.

Lecteur : Bah alors on peut pas savoir…

Journaliste : Pour l’instant… Il faut attendre que la science avance.

Glyphosate : Je suis encore peinard pour quelques temps.

Monsanto : Allez, on y croit. A coup de 5 ans de prolongation, on pourrait encore tenir un bon moment !

 

M. Arnaud, C. Beaumel, J. Gaffiot, N. Koskas, J. Pelisson, M. Veys