Fact Check

Les serviettes hygiéniques contiennent-elles vraiment 90 % de plastique ?

La marque de protections périodiques bio Natracare affirme sur son site Internet que les serviettes hygiéniques classiques sont composées à « 90 % de plastique ». Un chiffre invérifiable, mais probable.

« Saviez-vous que les serviettes hygiéniques classiques sont composées à 90 % de matières plastiques ?! » C’est avec ce chiffre impressionnant que la marque Natracare, pionnière des serviettes hygiéniques bio, interpelle ses potentielles clientes sur son site Internet. Car à la différence des grandes marques Nana, Always ou Vania, Natracare fabrique des protections périodiques en coton et a banni le plastique de leur composition. Elle n’est pas la seule : ces dernières années, Jho, Naty ou Love&Green se sont également lancées dans le commerce florissant des protections bio.

Toutes se positionnent par rapport aux enseignes grand public en jouant la carte de l’écologie et du « sain ». Ces marques estiment en effet que le plastique est particulièrement nocif pour l’environnement et la santé des femmes, puisqu’il est un dérivé du pétrole.

Mais le chiffre avancé par Natracare – 90 % de plastique dans les serviettes classiques – est très flou. Néanmoins, comme on va le voir plus bas, il reste probable. On retrouve en effet plusieurs matières plastiques dans toutes les couches de la serviette, même dans les plus épaisses et les plus absorbantes.

« Les serviettes hygiéniques classiques sont composées à 90 % de matières plastiques » selon Natracare © Natracare

Aucune quantité divulguée

D’où la marque tire-t-elle son information ? Contactée, elle ne donne pas ses sources, et ne précise pas non plus si le chiffre de 90 % se réfère au nombre de composants présents dans une serviette ou à son poids.

Supposons qu’il s’agisse du nombre de composants. Nana, Always et Vania, les trois géants des serviettes périodiques « classiques », ne répondent à aucune sollicitation. Sur leurs sites Internet cependant, sont disponibles des listes sommaires d’ingrédients. Chez Nana, il y a du plastique dans la première couche (matériau non tissé en polypropylène ou mélange de polypropylène, polyéthylène, polyester), dans la deuxième couche (fibres de polyester), dans le cœur absorbant (superabsorbants) et dans la quatrième couche (film en polyéthylène). Aucune quantité n’est donnée, et le terme de superabsorbant n’est pas expliqué.

Chez Vania, d’après 60 Millions de Consommateurs, il y a du plastique dans le voile, dans le cœur absorbant dans la couche inférieure © Vania

Pour Vania et Always, c’est à peu près la même chose. Même la revue 60 Millions de Consommateurs, qui s’est penchée sur la question en 2016, n’apporte pas plus de précisions. Elle dit avoir analysé la composition des serviettes hygiéniques disponibles en France, et tenté d’établir « non sans mal » une liste exhaustive de leurs matières premières. Mais les composants sont identiques à ceux listés sur le site Internet des marques. Encore une fois, aucun chiffre n’est disponible et le revue n’a pas répondu à nos sollicitations.

Cependant, d’après Clément Perrin, doctorant en deuxième année en physico-chimie des polymères à l’Université Lyon I, le chiffre de « 90 % » avancé par Natracare est « très probable ». D’après lui, il y a en effet du plastique dans presque toutes les couches de la serviette. Même dans le cœur absorbant, dont la composition n’est jamais précisée, si ce n’est qu’il contient des « superabsorbants ». Ce terme est en effet utilisé comme diminutif de « polymères superabsorbants » Or, il n’existe qu’un seul polymère superabsorbant, le polyacrylate, explique Clément Perrin. « C’est un dérivé du pétrole, donc un plastique », précise le doctorant.

Des données sur les substances chimiques, mais pas sur le plastique

Qu’en disent les instances gouvernementales ? L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a publié un rapport sur la composition des protections périodiques en juin 2018. Ce document est disponible sur son site Internet. Mais là encore, aucun chiffre n’est donné concernant la présence de plastiques dans les serviettes. Les informations sont peu ou prou les mêmes que celles fournies par les marques. D’après Aurélie Mathieu, chargée de projets scientifiques à la Direction d’évaluation des risques de l’Anses, l’agence ne dispose pas de ces chiffres. « C’est une information qu’on n’a pas demandée aux marques. Le but, c’était d’évaluer la sécurité des produits d’un point de vue chimique », précise-t-elle.

Pourquoi une telle difficulté d’accès à ces informations ? En réalité, au niveau européen, il n’existe pas d’obligation pour les fabricants de protections périodiques de révéler la liste exhaustive de leurs composants – donc encore moins leurs proportions. Le 29 février 2016, la députée européenne Europe-Écologie-Les-Verts Michèle Rivasi a saisi la Commission européenne à ce sujet. Le 13 mai, la Commission lui répondait : les protections périodiques ne représentant, selon plusieurs analyses scientifiques, aucun risque pour la santé, elle ne pouvait obliger les fabricants à rendre leurs ingrédients publics.

A ce jour donc, pour savoir si le chiffre avancé par Natracare est exact (les matières plastiques représentent 90 % du poids des serviettes hygiéniques non bio), il faudrait commander une nouvelle analyse chimique pour être définitivement certain. Néanmoins, étant donné que l’on retrouve du plastique dans toutes les couches des serviettes classiques, il n’est pas impossible que les matières plastiques représentent une très large part de leurs composants.

Par C. Altenburger, L. Chassagne, J. Grelier, M. Le Rest, S. Ouabi, A. Passilly, R. Taillefer

Au cœur des polémiques, le syndrome du choc toxique

Le constat de Michèle Rivasi est le suivant : « Les produits hygiéniques tels que les tampons n’étant pas couverts par une législation spécifique, ils relèvent de la directive 2001/95/CE relative à la sécurité générale des produits, qui n’oblige pas les producteurs à révéler les composants ou ingrédients du produit. » La députée évoque notamment le syndrome du choc toxique (SCT) : selon elle, cette infection peut être liée à la composition des tampons, puisqu’on n’a que très peu d’informations à ce sujet.

Le problème du SCT a été fortement médiatisé en 2015, après que la mannequin américaine Lauren Wasser a été amputée de la jambe droite. A cause d’un tampon, celle-ci a développé une infection à staphylocoque doré.

Michèle Rivasi a donc demandé à la Commission si elle comptait émettre « des propositions réglementaires au Parlement européen et/ou aux États européens ». La Commission lui a répondu que les substances chimiques potentiellement dangereuses étaient trop faiblement présentes dans les protections périodiques pour obliger les industriels à en révéler la composition. Elle s’est en effet concentrée sur la question du SCT : ce choc septique est extrêmement rare, et il dépend davantage de la durée du port du tampon que des matières qui le composent.

Pour obtenir une réponse claire de la Commission sur la présence de matières plastiques dans la composition des protections, il faudrait donc la saisir une nouvelle fois, en posant ces termes précis.