Fact Check

L’immigration coûte-t-elle trop cher à la France ?

Beaucoup de commentaires ont accompagné la signature du pacte de Marrakech. Damien Rieu, militant de Génération Identitaire estime que la France dépense déjà 4,5 milliards d’euros pour l’immigration. Cette dernière se résume-t-elle à son coût ?

Le pacte de Marrakech a suscité de nombreuses polémiques et réactions en France, notamment sur les réseaux sociaux. Signé par la France lundi 10 décembre 2018, il a également rallumé l’éternel débat sur le «coût de l’immigration».

Sur Twitter, Facebook ou encore Youtube, des militants se revendiquant de mouvances identitaires ont pris la parole avant même la signature du Pacte de Marrakech. Parmi eux, Damien Rieu s’est inquiété de la signature du pacte, dans une vidéo postée le 5 décembre 2018. Membre du mouvement Génération Identitaire et du Front National, Damien Rieu alerte sur le fait que la France «n’a pas les moyens d’accueillir plus de migrants».

Selon lui, l’État français consacre déjà 4,5 milliards d’euros à l’immigration dont «1,5 milliards pour l’intégration, 2 milliards pour les mineurs non accompagnés et 1 milliard pour l’Aide médicale d’Etat auprès des migrants». La vidéo a été visionnée plus de 53 000 fois sur Youtube. Malgré leur véracité, ces chiffres ne suffisent pas à établir un bilan comptable de l’immigration.

Damien Rieu explique qu’il a repris les propos de Nadine Morano sur le plateau de l’émission BFM Story, le mardi 27 novembre 2018. Cette dernière y critiquait le budget dans la loi de finances de 2019 et notamment l’augmentation de 200 millions d’euros du budget consacré à «l’intégration».

Immigrés, étrangers ? De quoi parle-t-on ?

L’Organisation des nations unies définit une personne immigrée comme étant une personne étrangère, née à l’étranger et résidant pour un an ou plus dans un pays donné. On peut donc compter, parmi les immigrés, les étudiants Erasmus qui restent plus d’un an. Le terme “étranger” renvoie lui à chaque individu résidant en France et qui n’a pas la nationalité française. Tous les étrangers ne sont pas forcément immigrés (touristes) et tous les immigrés ne sont pas non plus nécessairement étrangers (naturalisés français).

L’INSEE estime la population immigrée à 6,2 millions de personnes en France en 2015, soit 9,3 % de la population totale. 2,4 millions d’immigrés, soit 39 % d’entre eux, ont acquis la nationalité française. La population étrangère vivant en France s’élève à 4,4 millions de personnes, soit 6,7 % de la population totale.

L’immigration en France. Source: Insee 2015 (touristes non compris)

Alors ces chiffres de l’immigration, vrai ou faux ?

Les chiffres que donne Damien Rieu semblent donc exacts. Le projet de loi de finances de 2019 comprend bien une enveloppe de 1,58 milliards d’euros pour la mission «Immigration, asile et intégration». Elle inclut notamment le programme 303 («Immigration et asile ») qui regroupe «les moyens des politiques publiques relatives à l’entrée, à la circulation, au séjour et au travail des étrangers, à l’éloignement des personnes en situation irrégulière et à l’exercice du droit d’asile».

L’Aide médicale d’Etat était quant à elle chiffrée à hauteur de 923 millions d’euros en 2018. Créée en 2001, l’AME est un dispositif qui permet aux étrangers en situation irrégulière d’accéder à des soins, à condition qu’ils résident en France depuis plus de 3 mois. Le sénateur LR du Rhône François-Noël Buffet, estime que plus de 310 000 personnes en bénéficient actuellement. Le sénat a d’ailleurs voté, début décembre, une baisse de 300 millions du budget consacré à l’AME pour 2019. La ministre de la santé Agnès Buzyn a exprimé son désaccord avec cette décision. Mais cette baisse pourrait être prochainement invalidée par l’Assemblée Nationale.  

Sur le deuxième point évoqué par Damien Rieu, l’Assemblée des départements de France estime que les départements français ont accueilli 40 000 mineurs isolés issus de l’immigration en 2018. Si l’on tient compte du coût de la prise en charge d’un mineur étranger via l’Aide sociale de l’enfance, estimé à 50 000 euros en moyenne par an, ce qui donne le total de 2 milliards d’euros.  Mais un tel investissement par mineur isolé est “peu probable” selon Catherine Wihtol de Wenden, politologue et chercheuse spécialisée dans les questions migratoires.

Jean-Christophe Dumont, économiste à l’OCDE (division des migrations internationales) considère quant à lui que «le coût de l’aide aux mineurs isolés est quasiment impossible à chiffrer car il n’y a pas de ligne budgétaire établie».

L’Aide médicale d’Etat

L’Aide médicale d’Etat (AME) recouvre trois dispositifs distincts (source Sénat.fr)
– l’AME de droit commun, qui assure la couverture des soins des personnes étrangères en situation irrégulière résidant en France depuis plus de trois mois de façon ininterrompue et remplissant des conditions de ressources identiques à celles fixées pour l’attribution de la couverture maladie universelle complémentaire.
– l’AME pour soins urgents concerne les étrangers en situation irrégulière ne justifiant pas de la condition de résidence nécessaire pour bénéficier de l’AME de droit commun et nécessitant des soins urgents « dont l’absence mettrait en jeu le pronostic vital ou pourrait conduire à une altération grave et durable de l’état de santé de la personne ou d’un enfant à naître ».
– l’AME dite « humanitaire », accordée au cas par cas pour les personnes ne résidant pas habituellement sur le territoire français (personnes étrangères en situation régulière ou françaises) par décision individuelle du ministre compétent. Ce dispositif de prise en charge, qui n’a pas le caractère d’un droit pour les personnes soignées, représente chaque année une dizaine d’admissions pour soins hospitaliers.

 L’immigration n’est pas qu’un coût selon les experts

Mais l’immigration n’a t-elle qu’un coût ? Jean-Christophe Dumont perçoit, dans la vidéo de Damien Rieu, une «façon biaisée de présenter les choses. (…) Les immigrés paient des impôts et consomment comme tout le monde, alors qu’ils perçoivent moins d’aides sociales que la moyenne des Français

À l’instar de Jean-Christophe Dumont, plusieurs économistes invitent à mettre en perspective les coûts avec les contributions. Catherine Wihtol de Wenden affirme ainsi que «l’immigration rapporte plus qu’elle ne coûte». Ce que prouve selon elle la croissance allemande de 2017, dopée par l’accueil d’un million de réfugiés l’année précédente.

Un rapport de 2010 de la Drees coordonné par l’économiste Hillel Rapoport évalue à près de 4 milliards d’euros  la contribution nette globale des personnes immigrées aux finances publiques pour l’année 2005.

À l’issue d’une étude menée sur plusieurs pays d’Europe de l’ouest sur une période de 1985 à 2015, trois chercheurs économistes au CNRS, Hippolyte d’Albis, Ekrame Boubtane et  Dramane Coulibaly montrent un «effet bénéfique des migrations sur l’économie». Ils observent notamment un «effet positif sur les finances publiques, car même si l’on observe une hausse des dépenses publiques, les recettes – en impôts et cotisations – augmentent elles aussi.»

Mes cet effet positif de l’immigration n’est pourtant pas automatique. Pour Jean-Christophe Dumont, “c’est l’investissement dans l’intégration qui entraîne un impact positif de l’immigration sur la croissance”.

S. Collignon, M. Fiachetti, L. Juzdzewski, S. Lavigne, J. Ollivier, W. Poutrain.