Parti de San Francisco le 8 septembre 2018, le bateau d’Ocean CleanUp suscite beaucoup d’espoirs. Le système de Boyan Slat doit réduire de 90 % les plastiques présents des océans d’ici à 2040. Un chiffre partiellement faux.

Pas moins de 80 ingénieurs ont travaillé sur le projet Ocean CleanUp. Imaginé par le jeune Néerlandais Boyan Slat, 24 ans, ce système est parti de San Francisco le 8 septembre 2018. Il concrétise cinq années de réflexions. Le dispositif comprend quatre barrières disposées en fer à cheval de sorte à tendre des « jupes » censées piéger les déchets sur 600 mètres de longueur. L’entreprise souhaite s’attaquer dans un premier temps à l’amas de plastiques du Pacifique Nord, parfois qualifié de « 7e continent ». Ocean CleanUp se fixe pour objectif de « réduire la quantité de plastiques présents dans les océans de la planète d’au moins 90 % d’ici à 2040. » Cette affirmation s’avère partiellement fausse.
©Ocean CleanUp
Ocean CleanUp ne nettoient les océans qu’en surface
En effet, le système présente des limitations techniques. Par exemple, les « jupes » ne descendent qu’à trois mètres de profondeur. Ocean CleanUp se concentrera alors sur les déchets dérivant en surface pour n’évacuer qu’ « un millième de la quantité de plastiques contenue dans les océans », estime Alexandra Ter Halle, spécialiste de l’impact du plastique sur les écosystèmes au CNRS. Au niveau des quantités collectées, on est donc loin du compte.

Même constat en termes de poids des déchets. « Des physiciens-océanographes ont calculé qu’entre 100 000 et 200 000 tonnes de plastiques flottent à la surface », poursuit la chercheuse. Marcus Eriksen, scientifique de l’environnement au Fire Gyres Institute, évalue cette masse à 250 000 tonnes après 13 000 mesures dans différents endroits du monde.
Or, d’après les travaux des chercheurs Christopher Blair Crawford et Blair Quinn publiés dans l’ouvrage Microplastic Pollutants, 150 millions de tonnes de plastiques se seraient déversées dans les océans depuis 1950. La plupart de ces déchets mettent 100 à 1000 ans à se dégrader complètement. Ils pèsent donc toujours autant. Une simple division (poids des déchets à la surface/poids totaux des déchets présents dans les océans) permet de calculer que seulement 0,1 % de la masse de plastiques contenue dans les océans flotte à la surface. Une proportion très largement inférieure aux 90 % promis par Boyan Slat.
L’affirmation publiée sur le site d’Ocean CleanUp se révèle donc erronée.
Seulement les macroplastiques
Pourtant, ce chiffre de 90 % n’a pas été choisi au hasard. « On veut réduire de 90 % la masse qui flotte », rectifie Bruno Sainte-Rose, responsable de la modélisation chez Ocean CleanUp. Seuls les plastiques situés en surface seront donc concernés. Et plus précisément, les macroplastiques, c’est-à-dire mesurant plus de 5 mm de long. « Les microplastiques représentent 90 % du nombre total de plastiques flottants, mais seulement 10 % du poids total », détaille François Galgani, océanographe à l’Ifremer. Les 90 % évoqués sur le site d’Ocean CleanUp se référeraient donc à la masse des macroplastiques dérivant à la surface des océans.
Mais cet objectif ne devrait pas non plus être atteint. Les « jupes » du système imaginé par Boyan Slat ne retiennent que les objets de plus de 2 cm, laissant s’échapper les macrodéchets compris entre 5 mm et 2 cm.
Les aléas techniques ne sont pas pris en compte
Même en admettant ces 90 %, certains critères essentiels n’ont pas été considérés. « Leur système risque de ne pas résister aux mouvements marins », prévient François Galgani. Leur étude de faisabilité se base en effet sur des vitesses de courant moyennes plutôt qu’extrêmes. Le compte Twitter d’Ocean Cleanup reconnaît déjà plusieurs problèmes techniques qui empêchent une bonne récolte des déchets, comme les barrières qui ne dérivent pas assez vite. Elles devraient pourtant être plus rapides que le courant. L’ouverture du “U” formé par les barrières se révèle, elle aussi, insuffisante. Erika Träskvik, responsable des communications digitales chez Ocean CleanUp, qualifie d’ailleurs leur étude de « désormais obsolète dans une large mesure ». Ce document de 528 pages a été publié en juin 2014.
Wilson Update: the closing line extension did not effectively increase the span of the system and, therefore, the speed did not improve. Further approaches to widen the u-shape are being evaluated and tested by the team. pic.twitter.com/YP3TFKmnGc
— The Ocean Cleanup (@TheOceanCleanup) December 4, 2018
Les problèmes basiques semblent globalement admis par la fondation. Elle sous-estime par contre d’autres facteurs susceptibles d’altérer le système. Le développement de la vie marine sur les barrières, paraît « inévitable » pour le biologiste Jan Van Franeker. Cela risquerait d’alourdir le système et de fausser les calculs initiaux, d’après les critiques formulées par les océanographes Kim Martini et Miriam Goldstein. Pour l’heure, les ingénieurs n’en sont qu’à une phase d’observation. Ils prendront ensuite, si nécessaire, des mesures supplémentaires. « On pourra rendre les surfaces plus hydrophobes pour que les organismes primaires (type plancton, ndlr) ne viennent pas s’incruster sur le système », prévoit Bruno Sainte-Rose.
Reste ensuite à savoir comment ce système – 60 exemplaires devraient être déployés – va s’étendre aux quatre autres gyres contenant du plastiques dans le Pacifique Sud, l’Atlantique Nord et Sud, et l’océan indien.

Des déchets sans valeurUne autre promesse d’Ocean CleanUp semble erronée. Sur le site, il est écrit que « les études préliminaires sur le recyclage des plastiques contenus dans les océans montrent que les déchets pourront être transformés en objets de valeur. » Une affirmation démentie par François Galgani, océanographe à l’Ifremer. « Ces déchets ne seront pas recyclables car les polymères (composés de molécules) seront dégradés. On pourra toujours les réutiliser pour refabriquer des mélanges de plastiques mais ils ne seront pas de bonne qualité. Ces déchets n’ont pas de valeur marchande », explique François Galgani. « Il vaudrait mieux s’attaquer aux fleuves et rivières ce qui permettrait de collecter des déchets qui ont encore de la valeur », conseille le chercheur.
|
Par C. Altenburger, L. Chassagne, J. Grelier, M. Le Rest, S. Ouabi, A. Passilly, R. Taillefer