Pour le sénateur Jean Bizet (LR, Manche), la pilule est « le plus important perturbateur endocrinien ». Cette affirmation s’inscrit dans un contexte de remise en cause de ce contraceptif et se révèle fausse.
Invité de l’émission « Les pieds sur terre » diffusée sur Public Sénat le 26 mai 2016, Jean Bizet affirmait :
« Le plus important perturbateur endocrinien est celui utilisé par toutes les femmes tout au long de leur vie sexuelle, c’est la pilule, mais on n’en parle pas. »
Le sénateur (LR, Manche) s’exprimait dans le cadre d’un débat avec François Veillerette, président de l’association Générations Futures, sur la position de l’Union européenne vis-à-vis du glyphosate. Il mettait ainsi en parallèle un herbicide soupçonné d’être cancérigène avec la pilule contraceptive.
Jean Bizet n’a pas vraiment tort de présenter ce moyen contraceptif comme un perturbateur endocrinien. En fonction de la définition de perturbateur endocrinien prise en compte, la pilule est ou n’est pas un perturbateur endocrinien.
Le détail se cache dans les définitions
« Si on considère assez largement les perturbateurs endocriniens comme ce qui perturbe les hormones, alors oui, on peut dire que la pilule fonctionne comme un perturbateur endocrinien », indique Robert Barouki, biochimiste et toxicologue à l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale). Il estime toutefois que les caractéristiques de la contraception orale ne correspondent « pas franchement à la définition du perturbateur endocrinien retenue par l’Union européenne ».
Selon le règlement 2018/605 édicté par la Commission européenne le 19 avril 2018, un perturbateur endocrinien « présente un effet indésirable chez un organisme intact ou ses descendants […], a un mode d’action endocrinien, c’est-à-dire qu’elle altère la ou les fonctions du système endocrinien », et son effet indésirable « est une conséquence du mode d’action endocrinien ». La pilule est « un médicament », souligne Nicolas Chevalier, endocrinologue au CHU de Nice et membre de la société française d’endocrinologie. Pour lui, on peut considérer que les effets heureux du contraceptif« sont plus importants que les effets néfastes ».
La pilule est faite pour perturber le système hormonal
Des membres de la commission gynécologie médicale du CNGOF (Collège national des gynécologues et obstétriciens français) se sont positionnés sur la question dans un document intitulé « Faut-il vraiment avoir peur de la pilule contraceptive ? » publié en 2017. « Les hormones de synthèse utilisées dans la pilule peuvent être considérées en tant que telles comme des perturbateurs endocriniens puisqu’elles bloquent la fonction ovarienne des femmes, ce qui est bien l’effet recherché lorsque l’on prend une pilule contraceptive », observent-ils.
« La pilule a été fabriquée pour perturber le système hormonal et arrêter le cycle des femmes qui la prennent », abonde Sakina Mhaouty-Kodja directrice de recherche au CNRS et experte auprès de l’Anses. Elles le font en connaissance volontairement, en connaissance de cause, souligne-t-elle.
Des résidus dans les eaux usées
Reste à déterminer si la pilule est un perturbateur endocrinien pour l’ensemble des êtres vivants et pour l’environnement. Certains médias, comme BFM-TV, ont relayé des travaux en affirmant que des poissons changeaient de sexe « à cause des molécules présentes dans les pilules contraceptives qui finissent dans les rivières ».
« Le métabolisme humain sécrète naturellement un certain nombre d’œstrogènes », rappelle Nicolas Chevalier. Selon lui, il est possible de détecter des traces de ces hormones sexuelles féminines dans les eaux usées. Mais « elles sont traitées par les stations d’épuration », assure l’endocrinologue.

Sakina Mhaouty-Kodja indique néanmoins que « des chercheurs ont trouvé dans des eaux usées de faibles concentrations d’éthinylestradiol, [ndlr, un oestrogène de synthèse présent dans de nombreux contraceptifs oraux] qui n’avait pas été filtré ». Les membres du CNGOF notaient en 2017 que des progestatifs, hormones de synthèse présentes dans certains pilules, avait été « identifiés dans les circuits d’eau courante ». « Ils y sont présents à des taux extrêmement faibles (de l’ordre du nanogramme par litre soit environ 0,000000001 g/litre) », soulignaient alors les gynécologues et obstétriciens.
Des effets, même à très faibles doses
Mais, en matière de perturbateurs endocriniens, les doses ne sont pas significatives. « Certains effets des perturbateurs endocriniens peuvent apparaître à de très faibles doses » ou évoluer au fil du temps, rapporte Santé publique France. Selon Sakina Mhaouty-Kodja, « des études ont montré qu’en exposant des animaux aux concentrations d’hormones de synthèse relevées dans les eaux usées, les processus physiologiques se modifiaient. »
En l’état actuel, les recherches tendent à prouver que les molécules contenues dans des pilules contraceptives peuvent donc perturber les systèmes hormonaux des animaux. Mais la directrice de recherche au CNRS n’a pas connaissance de travaux montrant des effets semblables chez l’homme. Sakina Mhaouty-Kodja ajoute que les études menées sur les perturbateurs endocriniens ne permettent pas, pour l’instant, de classer les substances selon leur degré de dangerosité. En tout état de cause, que ce soit de façon directe ou indirecte, rien ne permet d’affirmer que la pilule est « le plus important » des perturbateurs endocriniens.
O. Berger-Saraf, M. Bouillié, M. Burgaud, J. Claude-Jarrige, M. Desrumaux, P. Idczak, E. Meyer-Vacherand