
L’article 13 sonnerait-il le glas de Youtube sous sa forme actuelle ? Adieu l’incubateur de talents, bonjour aux vidéos des grandes entreprises seulement ? Pas vraiment.
“L’article 13, comme il est écrit, menace la capacité de millions de personnes – des créateurs comme vous et les utilisateurs de tous les jours, de télécharger du contenu sur les plate-formes comme Youtube. […] La proposition pourrait forcer les plate-formes comme Youtube à n’autoriser que les contenus provenant d’un petit nombre de grandes entreprises.”
L’article 13 fait partie des dix-huit articles qui composent la Directive européenne sur le droit d’auteur. Il est en discussion depuis septembre 2016 entre le Parlement, la Commission et le Conseil européen. Cet article souhaite protéger les personnes ayant déposé des droits sur un contenu, qu’on appelle les ayant droits. Cela peut concerner les réalisateurs d’un film, un label de musique ou même la vidéo d’un youtubeur.
Avec l’article 13 Youtube serait responsable des contenus qu’elle héberge
L’article 13 apporte de nouvelles obligations aux plate-formes comme Youtube. Elles sont désormais considérées comme responsables du contenu qu’elles hébergent et du respect du droit d’auteur. Si un youtubeur publie une vidéo avec des images ou des musiques dont ni la plateforme ni lui-même ne possède les droits, c’est Youtube qui sera considéré comme fautif.
Jusque-là les plate-formes bénéficiaient des avantages de la Directive e-commerce de 2000, destinée a priori à un tout autre type d’hébergeur, comme OVH (une entreprise qui héberge des sites et qui n’est pas une plate-forme). “Cela impliquait une irresponsabilité juridique sur tout ce qui est publié”, explique Quention Deschanlliers, assistant parlementaire de Marc Joulaud, eurodéputé et rapporteur pour avis pour la Directive sur le droit d’auteur.
Bon, les amis, d'ici quelques mois ma chaîne pourrait fermer ! Ce n'est pas une blague, des millions de créateurs de contenus, et chaque internaute européen, sont concernés. Je vous explique tout et comment on peut faire changer les choses #Article13 🔥 https://t.co/9SodRzUm7R pic.twitter.com/lFSM7fS0b4
— ˗ˏˋJulien Chièzeˎˊ˗ (@JulienChieze) November 19, 2018
De nombreux youtubeurs et internautes se sont engagés dans la lutte contre l’article 13, véhiculant parfois de fausses informations. Le vidéaste Julien Chièze a par exemple indiqué à tort que Youtube pourrait fermer des chaînes.
C’est sérieux? On devien une sorte de Corée du Nord? Laisser notre YouTube tranquille avec votre vielle article 13 la 🙄 #SaveYourInternet
— j’ai pas de nom💉💉 (@ChanieCyrine) November 16, 2018
Comment cette Directive pourrait-elle donc avoir une incidence sur les petits vidéastes ?
Comme les autres hébergeurs de contenu, Youtube va devoir prendre des dispositions pour suivre ces nouvelles obligations. Selon la Directive,“les prestataires de services de partage de contenus en ligne procèdent à un acte de communication au public. Dès lors, ils concluent des contrats de licence justes et appropriés avec les titulaires de droits.” L’une des options avancées au cours des discussions serait donc de conclure des accords de licence entre la plate-forme et les ayants droit. Les labels de musique, sociétés de production ou youtubeurs céderaient ainsi leur droit sur l’œuvre à la plate-forme, moyennant finance. Ces contrats fonctionneraient à la manière d’un achat de programmes pour la télévision. En France, les sociétés de droit d’auteur comme la Sacem ou la Scam facilitent la procédure, en mettant à la disposition des plate-formes un large répertoire (musical ou cinématographique).
« La crainte, c’est que Youtube décide de devenir une plate-forme dédiée aux professionnels »
Les youtubeurs aussi sont des ayant droits. Ils possèdent les droits d’auteurs sur leur propre vidéo. L’article 13 implique donc également la nécessité d’un accord entre ces créateurs et Youtube. Cette situation ne devrait cependant pas être problématique selon Zoé Vilain, avocate spécialisée dans les nouvelles technologies et le droit d’auteur : “On s’oriente vers une licence automatique entre vidéaste et Youtube, qui se ferait dès la création de la chaîne.”
Si les plateformes ne souhaitent ou ne parviennent pas à passer un accord avec les titulaires de droits d’auteur, un filtrage du contenu protégé devra avoir lieu avant même la publication, d’après la directive. En d’autres termes, en cas de non-respect du droit d’auteur, le contenu ne sera tout simplement pas publiée. Par exemple, si la musique d’Harry Potter est intégrée à une production d’un vidéaste mais que Youtube n’a pas passé d’accord de licence avec le label possédant les droits, la vidéo ne sera tout simplement pas accessible.
Un dispositif trop coûteux selon Youtube
Pour filtrer, Youtube dispose déjà de Content ID, un robot capable de reconnaître des musiques ou des extraits de films déposés. Un outil cependant pas assez perfectionné pour répondre pour le moment aux exigences de l’article 13.
Avec 400 heures de contenu téléchargées chaque minute sur la plate-forme, l’entreprise juge cette exigence économiquement impossible. “Ce système de filtrage, vu le nombre de vidéos, représente un coût énorme. La crainte, c’est que Youtube décide de devenir une plate-forme dédiée aux professionnels”, explique Zoé Vilain. Un argument rejeté par Quentin Deschanlliers qui affirme que la multinationale peut “se le permettre”, Alphabet, sa maison-mère, affichant un chiffre d’affaire qui dépasse les 100 milliards d’euros en 2017.
Les conséquences de l’article 13 restent encore très incertaines. Le texte entrera dans une dernière phase de discussion en janvier, “pour débattre de détails sur les droits d’utilisateurs, sur le recours et sur le mécanisme de responsabilité”, précise Quentin Deschanlliers. Après son adoption par le Parlement européen, les États membres auront deux ans pour l’adapter à leur droit national. Le chemin est donc encore long avant de voir l’Union européenne enterrer Youtube.
Le système de filtrage de Youtube, Content ID, a été mis en place graduellement depuis 2008.
N. Sonalier, S. Barry, M. Andriambelo, R. Lizée, A. Gasqueres et H. Linossier.