Fact Check

Y a-t-il une impunité fiscale des Gafa ?

Ces dernières années, les avantages fiscaux et les faibles taxes dont profitent les géants du numérique Google, Apple, Facebook et Amazon sont de moins en moins tolérés par les sociétés ; certains politiques vont jusqu’à parler d’“impunité fiscale des puissants”.

“Il est temps de mettre un terme

à l’impunité fiscale des puissants.”

Ian Brossat, chef de file du Parti communiste français

aux élections européennes, 7 novembre 2018

Le 6 novembre 2018, le ministre des Finances Bruno Le Maire se dit “ouvert à un report de l’entrée en vigueur” du projet de taxation des géants du numérique. Depuis déjà neuf mois, les pays européens cherchent à s’accorder sur une manière de taxer les Gafa, très inventifs en matière de montages fiscaux lorsqu’il s’agit de ne payer que des impôts dérisoires par rapport à leur chiffre d’affaires.

Fatigués d’attendre une taxation plus efficace des géants du numérique, certains politiques s’énervent. C’est le cas de Ian Brossat. Cet homme politique de 38 ans, conseiller puis adjoint au logement à la mairie de Paris, est aujourd’hui le chef de file du Parti communiste français en vue des élections européennes de mai 2019. Au lendemain de l’annonce de Bruno Le Maire, il publie un texte sur le site du PCF où il fustige “un recul inacceptable face à ces multinationales toutes-puissantes” qu’il présente comme “un désaveu cinglant pour le chef de l’État”. Il ajoute :il est temps de mettre un terme à l’impunité fiscale des puissants”, en référence à la faible fiscalité dont profitent les Gafa. Parler d’impunité est toutefois exagéré.

 

Champions de l’optimisation fiscale légale

Les géants du numériques ont appris à esquiver les taxes nationales avec un succès arrogant. En Europe, l’essentiel de leur activité financière transite par des sièges en Irlande.

“La différence de fiscalité entre les pays permet la minimisation des impôts, explique Sarah Perret. Économiste fiscaliste pour l’OCDE, elle précise : Si vous êtes une entreprise à gros revenus, vous voulez décaler vos profits dans un pays à faible fiscalité comme l’Irlande. Vous y créez une filiale et vous lui demandez de vous facturer des services à un tarif exorbitant. Ainsi, vous transférez de l’argent dans ce pays où il sera peu taxé.”

En 2015, Alphabet, la maison-mère de Google, a réalisé 22,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires en Irlande pour 3,8 millions d’utilisateurs, contre seulement 325 millions d’euros en Allemagne qui est pourtant en tête du marché européen avec 71,7 millions d’utilisateurs. Facebook et Apple sont également installés en Irlande.

Amazon préfère le Luxembourg. En 2016, le groupe y a réalisé 21,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires, sans compter les revenus de la publicité. Seuls 16,5 millions d’euros d’impôt sur les entreprises lui ont été réclamés.

Selon le rapport réalisé par le groupe socio-démocrate au Parlement européen, le manque à gagner en taxes sur Google et Facebook représenterait, entre 2013 et 2015, 889 millions d’euros en Allemagne, 810 millions au Royaume-Uni et 741 millions d’euros en France.

Toutefois, l’optimisation fiscale des entreprises et les moyens employés ne sont pas répréhensibles. “Techniquement, tout ce que les Gafa font est légal, précise Sarah Perret. Le fait qu’elles payent moins d’impôts est injuste, il n’y a pas de doute. Mais on ne peut pas parler d’impunité. Elles ne peuvent pas être punies si leurs actions sont légales. La stratégie européenne est donc de rendre illégales ces pratiques.”

 

Les Gafa sous le coup de la loi

Les géants du numériques ne sont pas au-dessus des lois. Lorsque ces sociétés franchissent la limite de la légalité, les institutions fiscales et judiciaires réagissent.

Ainsi, entre 2015 et 2018, le fisc italien a successivement poursuivi Apple, Google, Amazon et Facebook pour fraude fiscale. Les enquêtes ont donné lieu à des accords de remboursement partiel des dettes initiales, de 100 à 318 millions d’euros. Des actions similaires se sont déroulées entre le fisc français et Amazon en 2018, ainsi qu’entre le fisc britannique et Google en 2016.

L’assertion d’une « impunité fiscale » exposée par Ian Brossat est fausse. Les Gafa bénéficient d’un traitement inégal, mais savent avant tout tirer profit légalement d’une fiscalité avantageuse. Les géants du numériques passent toutefois devant la justice lorsque les limites sont dépassées, avec des variations entre les pays.

Toute la difficulté d’une taxation européenne sur les géants du numériques est là. L’unanimité des États membres est nécessaire à son instauration, et les plus fiscalement avantageux d’entre eux sont fermement opposés à renoncer à leur attractivité. En 2017, une enquête de la Commission européenne a conclu que le Luxembourg avait accordé 250 millions d’avantages fiscaux indus à Amazon. Cette pratique étant illégale, Amazon a été sommé de reverser cette somme au pays. Mais le Luxembourg a fait appel et refusé l’argent, soucieux de ne pas faire fuir l’entreprise.

En attendant, plusieurs pays ont commencé à réformer leur impôt sur les entreprises numériques. En France, le 16 décembre, le Premier ministre Édouard Philippe a annoncé qu’une taxe serait mise en place dès 2019.

H. Linossier, R. Lizée, A. Gasqueres, N. Sonalier, M. Andriambelo, S. Barry