Les données disponibles actuellement ne permettent pas d’affirmer avec certitude le risque ou l’absence de risque du glyphosate pour l’homme.
« Le glyphosate ne présente pas de risque pour la santé humaine », affirmait Phil Hogan, commissaire européen à l’Agriculture et au développement rural lors d’une session de la commission des Affaires économiques à l’Assemblée nationale, le 10 octobre 2017.
« Le #glyphosate ne présente pas de risque pour la santé humaine », affirme le commissaire européen @PhilHoganEU #DirectAN pic.twitter.com/6HR7Ti5YRZ
— LCP (@LCP) 10 octobre 2017
Une position réaffirmée le 12 décembre 2017 par la Commission européenne, qui adopte le texte renouvelant l’autorisation pour cinq ans du glyphosate, l’herbicide le plus utilisé dans le monde inventé par l’entreprise américaine Monsanto en 1974. Dans sa fiche d’information, la Commission justifie sa décision: « Il n’existe à ce jour aucune raison scientifique ni juridique justifiant une interdiction du glyphosate. A l’issue d’une procédure scientifique approfondie et transparente, dans le cadre de laquelle plus de 6 000 pages ont été rendues publiques, l’évaluation des risques de l’Union européenne (UE) a conclu que le glyphosate ne provoque pas le cancer et qu’il ne présente pas non plus de risque inacceptable pour l’environnement lorsqu’il est utilisé conformément aux bonnes pratiques agricoles. » Une affirmation discutable et discutée par certains scientifiques. En l’état actuel de la recherche, les conséquences de la molécule sur la santé humaine ne sont pas rigoureusement identifiées.

Absence de consensus entre les études scientifiques
La Commission s’appuie sur le rapport de l’Efsa, l’Autorité européenne de sécurité des aliments, remis en 2015. Cette évaluation conclut « qu’il est improbable que le glyphosate soit génotoxique (c’est-à-dire qu’il endommage l’ADN) ou qu’il constitue une menace cancérogène pour l’homme ». Ainsi, « les experts n’ont pas proposé que le glyphosate soit catégorisé comme cancérogène dans la réglementation de l’UE […], l’étiquetage et l’emballage des substances chimiques ». Huit agences d’expertises des risques dans le monde, dont celles des autorités nationales du Canada, du Japon, de l’Australie, ont remis des avis convergents.
Cependant la même année, un autre rapport scientifique établi par le Circ, le Centre international de recherche sur le cancer affilié à l’Organisation mondiale de la santé, classe le glyphosate comme « cancérogène probable » pour l’homme. Comment expliquer cette divergence ?
Des biais méthodologiques différents
« Quand on ne se base pas sur les mêmes données, on ne peut pas aboutir à des conclusions identiques », explique Laure Mamy, chercheur au sein de l’unité Ecosys (Écologie fonctionnelle et écotoxicologie des agroécosystèmes) de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra). « L’Efsa, et c’est son rôle en tant qu’agence européenne, a testé la molécule pure. Le Circ s’est lui intéressé au glyphosate tel qu’il est commercialisé, donc mélangé à d’autres molécules. » L’ex-directeur de recherche à l’Inra, Gérard Pascal, ajoute à ce propos sur le site de l’Institut: « C’est certes plus proche de la réalité, mais cela complique les choses, car les effets observés peuvent provenir des coformulants ou des adjuvants. C’est le cas de la POE-tallowamine, qui, à forte dose, est suspectée d’être responsable de cas d’empoisonnement chez les agriculteurs. »
« Fin 2020, l’usage du glyphosate en France devrait être restreint »
Françoise Weber, la directrice du pôle produits réglementés de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) précise: « Nous avons retiré de la vente 136 produits au glyphosate qui contenaient de la POE-tallowamine fin 2016. » 132 préparations contenant du glyphosate seront également retirés du marché en 2019 « car les fabricants n’ont pas déposé de dossier de réévaluation de risque ». Et l’agence réévalue actuellement 58 préparations au glyphosate ainsi que 11 nouvelles demandes, pour déterminer leur mise ou non sur le marché. « Pour ces produits on mène une évaluation comparative, c’est-à-dire que nous autorisons à la vente uniquement les préparations qui n’ont aucune alternative non chimique. A la fin de l’année 2020, l’usage du glyphosate en France devrait donc être restreint à ce qui est absolument nécessaire. »
Les rapports de l’Efsa et du Circ se distinguent aussi par les organismes testés dans leurs recherches. Pour évaluer le caractère cancérogène du glyphosate, « l’Efsa s’est uniquement appuyée sur des études menées sur des mammifères, ce qui est plus représentatif pour l’homme, alors que le Circ a aussi pris en compte des études sur des non mammifères », poursuit Laure Mamy.
Autre différence, la démarche de ces deux expertises. « Le Circ estime le danger, tandis que les agences, qui statuent en vue de la réglementation, estiment le risque », conclut Gérard Pascal. « Le danger est intrinsèque à une substance, c’est sa toxicité. Le risque est la façon dont l’individu (ou l’environnement) est exposé à un danger. Certaines substances sont dangereuses mais ne comportent pas de risque inacceptable dans les bonnes conditions d’utilisation », développe Françoise Weber.
Suspicion de conflits d’intérêt
Quatre eurodéputés écologistes ont saisi la Cour de justice de l’Union européenne pour contraindre l’Efsa à rendre public l’intégralité des études sur lesquelles elle se fonde. Si le Circ s’appuie uniquement sur des études publiées et appartenant au domaine public, l’Efsa a aussi pris en compte des études confidentielles fournies par des entreprises privées. Deux de ces études figurent d’ailleurs dans les « Monsanto papers », qui révèlent que l’industrie américaine s’inquiétait dès les années 1980 des dangers possibles du Roundup, le désherbant phare de la marque dont la préparation repose sur le glyphosate.
Cela n’est cependant pas suffisant pour douter de la scientificité du rapport de l’Efsa selon Laure Mamy. « L’Efsa accepte les études qui suivent un protocole de recherche rigoureux qu’on nomme » les bonnes pratiques de laboratoire ». Une étude fournie par une entreprise privée n’est donc pas forcément rejetée si le protocole est adéquat. Et l’Efsa peut à tout moment recourir aux données brutes des études pour vérifier la validité de leurs conclusions. »
Au vu des données disponibles, il est donc difficile de se prononcer quant à la cancérogénicité du glyphosate pour l’homme. Suite au désaccord entre l’Efsa et le Circ, l’Anses a réuni un groupe d’experts pour essayer de trancher la question fin 2016. « Ces chercheurs ont conclu que le glyphosate ne pouvait pas être classé » cancérogène avéré ou présumé pour l’être humain ” mais qu’il fallait continuer les recherches pour déterminer s’il pouvait être rangé comme » substance suspectée d’être cancérogène pour l’homme ”, détaille Françoise Weber. L’Anses prépare donc, avec des experts indépendants, une nouvelle étude pour statuer définitivement sur la cancérogénicité du glyphosate. » Laure Mamy de conclure: « Mais par rapport à l’état actuel des connaissances, la toxicité globale du glyphosate pur est plutôt inférieure à celle d’autres pesticides. »
M. Arnaud, C. Beaumel, J. Gaffiot, N. Koskas, J. Pelisson, M. Veys