Derrière les faits

Le glyphosate, un objet à double enjeu

Le tweet de Marine Le Pen offre un double niveau interprétatif. Au premier abord, cette déclaration se présente comme une affirmation portant sur des faits à vérifier. Une deuxième lecture fait apparaître une dimension plus politique. Marine Le Pen ne se contente pas de produire des énoncés factuels qu’il s’agirait simplement de mesurer à l’aune d’une vérité objective. L’articulation des différentes propositions qui constituent son tweet apparaissent comme une tentative de démonstration visant à imposer une certaine problématisation de la question du glyphosate. Notre premier réflexe a donc été d’analyser la logique interne de la déclaration.

Dans un premier temps, l’interdiction du glyphosate en France est posée comme une impossibilité. A la fin du tweet, Marine Le Pen alerte sur les conséquences néfastes qu’aurait cette interdiction sur l’agriculture française : “On va juste ajouter un boulet au pieds de nos agriculteurs.” Ce qui pourrait apparaître comme une contradiction logique – déplorer les conséquences inévitables d’un acte pourtant jugé impossible – apparaît dans sa logique politique dès que l’on ré-articule ces deux propositions au contexte élargi dans lequel les replace Marine Le Pen : celui des traités de libre-échange européens.

Dans cette rhétorique, c’est l’impossibilité – supposée – d’interdire l’importation en France de produits alimentaires traités au glyphosate qui redonne son sens à l’ensemble de la déclaration, que l’on peut dès lors comprendre comme suit : “L’interdiction du Glyphosate en France – bien que souhaitable en elle-même -, ne pourra constituer qu’un handicap pour les agriculteurs français tant que les traités européens de libre échange européens ne seront pas révisés.” C’est en tout cas ce cadre interprétatif que nous avons retenu, et que nous avons tenté de vérifier en parallèle de nos démarches de fact-checking, dans le sens le plus journalistique du terme, portant quant à elles sur la dimension purement factuelle de la déclaration de Marine Le Pen.

Comment nous avons opéré le factchecking

Dans un premier temps, nous avons cherché à mettre en perspective le tweet de Marine Le Pen pour analyser les faits qui y étaient énoncés. Son propos impliquait une impossibilité de la part d’Emmanuel Macron d’interdire le glyphosate et son importation en France.

La vérification des faits s’est avérée un exercice difficile puisqu’il fallait se plonger dans les différents textes de loi existants dont la multiplicité rend la compréhension ardue.

  • Nous avons d’abord contacté plusieurs membres du Rassemblement National pour avoir des précisions sur leurs positions. Après plusieurs tentatives, le cabinet parlementaire nous a finalement répondu en précisant ses propos sur l’aspect “irréaliste” de la proposition d’Emmanuel Macron.
  • L’article d’une avocate au barreau de Paris, qui ne nous a pas répondu, nous a éclairé sur différents points des textes de loi et notamment sur le principe de précaution. Son article mettait en lumière le flou juridique qui peut exister autour de ces questions.
  • En parallèle de ces démarches, nous avons fondé nos vérifications sur les textes de loi européens et français, disponibles en ligne.

Recontextualiser les déclarations

Conjointement à ces démarches de factchecking, notre objectif a donc été de recueillir des éléments permettant de reconstruire la logique politique conférant leur cohérence aux déclarations de Marine Le Pen. Après avoir tenté de contacter divers cadres du RN, c’est l’assistant parlementaire de Marine Le Pen qui a confirmé notre intuition de départ. Le glyphosate est ici traité comme un objet à double enjeu : un objet à interdire, car présentant des risques sanitaires ; un objet dangereux dont la difficile interdiction révèle les effets pervers des traités européens de libre échange. Voici ce qu’ils nous a dit dans son intégralité :

“La question du glyphosate est extrêmement complexe car elle touche à la fois la santé, l’économie et plus globalement le modèle économique dans lequel nous vivons.

Le Rassemblement national soutient un plan de sortie du glyphosate, articulé autour de trois axes : ne pas pénaliser injustement nos agriculteurs en créant les conditions économiques qui rendent possible l’abandon du glyphosate, permettre l’arrivée rapide de produits de remplacement en finançant la recherche et en accélérant les autorisations, et enfin interdire l’importation de produits alimentaires exposés à cet herbicide. Il paraît en effet irresponsable de maintenir notre agriculture et l’alimentation mondiale sous la dépendance d’une seule molécule, aujourd’hui contrôlée par des intérêts américains, demain très probablement des intérêts allemands suite à la fusion entre Bayer et Monsanto.

La question de l’interdiction en France du glyphosate promise par le président Macron semble en effet irréaliste car dans le modèle fonctionnement actuel, les accords de libre-échange entraînent des importations de produits cultivés avec des produits dangereux et parfois même interdits en France ou dans l’UE. En outre, le fonctionnement actuel de l’UE empêche de fermer les frontières internes à des produits cultivés avec des produits considérés par la France comme dangereux. Une interdiction brutale sans changer les règles économiques (libre échange généralisé) serait extrêmement pénalisante pour nos agriculteurs (ils ont déjà soumis à une concurrence intra-européenne extrêmement défavorable) et sans effet sur le consommateur (les importations remplaceraient la production nationale).

La santé de agriculteurs et plus globalement des consommateurs est une préoccupation majeure pour Marine Le Pen et pour le mouvement qu’elle préside ; la sécurité sanitaire fera certainement parti des axes de la campagne des européennes qui va bientôt débuter.”

Cette recontextualisation de la déclaration initiale de Marine Le Pen au sein d’un ensemble plus vaste de prises de positions fait apparaître les intentions stratégiques qui commandent sa formulation et en révèlent des enjeux plus larges. Il ne s’agit plus seulement de contester une possibilité d’interdiction d’un point de vue purement technique, mais de faire fonctionner le glyphosate comme un support privilégié à la concurrence entre acteurs politiques, en ce qu’il fait apparaître des lignes de fractures idéologiques, ici à propos du bien-fondé de la question du libre échange.

M. Arnaud, C. Beaumel, J. Gaffiot, N. Koskas, J. Pelisson, M. Veys