Les pesticides utilisés dans l’agriculture biologique, comme le cuivre, peuvent effectivement perturber les sols et la faune qui les peuplent. Mais leur impact est à comparer avec celui des pesticides de synthèse, beaucoup plus utilisés.
Le 26 mai 2016, Céline Imart-Bruno, agricultrice dans le Tarn et ancienne vice-présidente des Jeunes Agriculteurs, débattait avec Jean-Luc Mélenchon sur le plateau de l’émission de France 2 Des paroles et des actes. Elle lui a affirmé :
« Vous méconnaissez le fait que dans le bio, il y a aussi des traitements qui détruisent les sols, en particulier le cuivre, qui est un métal lourd […] »
Cette citation est plutôt vraie. En effet, les pesticides utilisés dans l’agriculture bio, notamment le cuivre, peuvent avoir un impact nocif sur les sols et certains microorganismes. Soit constituer une menace pour l’environnement.
Contrairement aux idées reçues, même l’agriculture bio utilise des pesticides. Mais ces derniers, à la différence des pesticides de synthèse, sont des substances qui existent dans la nature, isolément ou associées à d’autres molécules. Le cuivre, qui est un oligoélément, correspond à cette définition. Le sulfate de cuivre mentionné par Céline Imart-Bruno est un fongicide (il détruit les champignons parasites) souvent utilisé sous la forme d’une « bouillie bordelaise » (sulfate de cuivre mélangé à de la chaux) efficace contre le mildiou, une maladie due à des champignons qui touche surtout la vigne et la pomme de terre.

Mais le « naturel » n’est pas forcément synonyme de « sans danger » : l’utilisation de ce pesticide inquiète d’un point de vue environnemental.
« Le cuivre ne se dégrade pas dans les sols »
D’après Laure Mamy, ingénieure de recherche à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra), le cuivre a une position à part au sein des pesticides autorisés en agriculture biologique. Elle précise : « Contrairement à d’autres molécules organiques, les métaux comme le cuivre, ne se dégradent pas du tout. Le cuivre reste donc dans le sol. »
Françoise Weber, directrice du pôle produits réglementés de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), est plus catégorique au sujet de cette substance. « Nous avons plus d’inquiétudes pour le cuivre que pour le glyphosate », admet-elle. Elle se réfère notamment au rapport de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) et rappelle les préoccupations formulées par l’Efsa au sujet des risques liés, entre autres, à la pollution des sols.
Une prolongation pour sept ans… mais avec des réservesAprès avoir fixé une limite d’utilisation du cuivre à 6 kg par hectare par an, l’Union Européenne vient d’abaisser ce taux. Un règlement d’exécution de la Commission européenne publié sur son site et daté du 13 décembre 2018, vise à « restreindre l’utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant des composés de cuivre à une dose maximale de 28 kg/ha de cuivre sur une période de sept ans (soit une moyenne de 4 kg/ha/an) afin de réduire au minimum l’accumulation potentielle dans le sol et l’exposition des organismes non-cibles » [soit les organismes qui ne sont pas visés par l’action du cuivre, NDLR]. Par ailleurs, la Commission européenne compte les substances actives « composés de cuivre » parmi les substances dont elle envisage le remplacement par d’autres produits. Toujours selon ce règlement, « il s’agit en effet de substances persistantes et toxiques […] étant donné que leur demi-vie [soit la durée au bout de laquelle sa concentration initiale dans le sol est réduite de moitié, NDLR] dans le sol est supérieure à 120 jours […] » Néanmoins, la Commission européenne a approuvé la prolongation de l’utilisation du cuivre pour encore sept ans. Mais certains pays, comme les Pays-Bas et le Danemark, ont déjà décidé de l’interdire sur leurs exploitations. |
Tout est question de dosage
Ajouté à cela, le rapport d’expertise collective commandée par l’Inra et l’Institut technique de l’agriculture biologique (Itab) de janvier 2018 mentionne qu’il est « raisonnable de penser que les pollutions cupriques [relatives au cuivre, NDLR] des sols ont des effets chroniques de long terme sur la dynamique des populations de vers de terre et d’autres composantes de la faune des sols importantes pour l’entretien des structures de ces sols et le bouclage des cycles biogéochimiques. »
« Avec un composé comme le cuivre, la dose fait le poison, explique Laure Mamy. Le problème des sols des vignobles [les vignes sont traitées avec du cuivre depuis très longtemps, ndlr], c’est qu’ils ont des teneurs en cuivre extrêmement élevées qui se sont accumulées depuis des dizaines d’années. Ce seuil atteint a un effet assez majeur sur l’activité biologique du sol. On va avoir des effets très importants sur les microorganismes, sur les vers de terres par exemple. C’est pour cela qu’au niveau européen, les institutions ont décidé que la dose de cuivre à appliquer dépendait de ce qu’il y avait déjà dans le sol pour éviter d’atteindre le seuil critique qui détruirait toute activité biologique du sol. »
Mais ce problème n’existe pas ou peu avec les autres produits de biocontrôle. « Les produits de biocontrôle [hors cuivre, NDLR] ne sont pas très persistants dans les sols, compare-t-elle. Sous réserve de ne pas mettre des doses extrêmement élevées de ces produits. »
Un danger pour les sols… mais aussi pour les humains et les animauxSi l’accumulation de cuivre peut être néfaste pour les sols, elle peut également l’être pour la santé humaine et la santé animale. Selon les données de la base agritox de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), la bouillie bordelaise pourrait provoquer des lésions oculaires graves, et une accumulation dans le foie en cas d’exposition chronique à cette substance. Le rapport de l’Efsa sur les risques liés au cuivre mentionne également la nécessité pour les travailleurs en contact avec la substance d’adopter un équipement adéquat.
|
M. Arnaud, C. Beaumel, J. Gaffiot, N. Koskas, J. Pelisson, M. Veys