Fact Check

L’interdiction du glyphosate augmentera-t-elle l’empreinte carbone de l’agriculture européenne ?

Un chiffre très précis d’une part, une phrase au conditionnel d’autre part, et une étude privée non consultable, rendent cette affirmation de Monsanto invérifiable

Dans les jardins de Courance, près de Fontainebleau, les maraîchers font des essais de culture en conservation de sols. Copyright: Marie Veys

Le fabricant de pesticides et semences OGM Monsanto, racheté par le groupe pharmaceutique Bayer en 2016, affirme sur son site, qu’« une interdiction du glyphosate pourrait entraîner une hausse de l’empreinte carbone de l’agriculture européenne s’élevant à 47%.» Cette affirmation s’inscrit dans une série d’infographies du groupe visant à informer les visiteurs sur le glyphosate et son rôle sur l’agriculture.

Monsanto indique en bas de page s’appuyer sur une étude qu’elle a commandé à un cabinet de conseil privé, Steward Redqueen, qui accompagne ses clients, dans une démarche d’activité durable. Cette étude n’est pas consultable. Il n’est donc pas possible de savoir comment le cabinet a abouti au chiffre de 47%.

Une scientifique nous donne son point de vue

Laure Mamy, chercheuse au sein de l’unité ECOSYS (Écologie fonctionnelle et écotoxicologie des agroécosystèmes) de l’Institut National de la Recherche Agronomique (Inra) livre des pistes de réflexion pour comprendre l’affirmation de Monsanto. Elle indique ne pas connaître cette étude et évoque « que si on supprime l’utilisation du glyphosate, il faut trouver d’autres solutions comme le désherbage mécanique. Or ce dernier implique plus de tracteurs (essence, gaz à effets de serres), et donc un bilan carbone plus élevé. Tout dépend des hypothèses de départ de leur étude : est-ce que tout le monde va faire du désherbage mécanique, dans toutes les parcelles, plusieurs fois par an, est-ce-que Monsanto a évalué un « pire cas » ? ».

Monsanto dans cette affirmation sous-entendrait donc les deux techniques les plus pratiquées pour éliminer les mauvaises herbes avant de semer : le labour et le traitement aux pesticides. Nettoyer le sol des mauvaises est une étape importante pour les agriculteurs : les mauvaises herbes détournent sinon l’énergie vitale, provenant de la terre et de ses minéraux, pour le bon développement des plantes semées. Le labour est remis en cause depuis l’initiative 4P1000 : labourer profondément libère le CO2 stocké dans les sols et l’utilisation des machines agricoles participe aux émissions secondaires du CO2. Le glyphosate permettrait alors l’arrêt du labour et le passage à une agriculture de conservation des sols, préconisée dans la transition agricole.

En 2015, lors de la COP21, l’empreinte carbone de l’agriculture était au cœur d’une initiative, nommée « quatre pour mille (4P1000) », en référence au fait qu’« un taux de croissance annuel du stock de carbone dans les sols de 0.4%, soit quatre pour mille par an, permettrait de stopper l’augmentation de la concentration de CO2 dans l’atmosphère liée aux activités humaines» (https://www.4p1000.org/fr). L’initiative vise à montrer que l’agriculture, et en particulier les sols agricoles, peuvent jouer un rôle crucial pour le changement climatique. Trois ans plus tard, en novembre 2018 et à la veille de la COP24, les chercheurs de cette initiative sont réunis pour lancer « l’appel de Sète ». Ils souhaitent mettre en œuvre le volet recherche de cette initiative, et ont besoin de financement.

Éléments d’analyse en attendant les quelques années de recherche supplémentaires nécessaires 

Réduire le sujet à ces deux options ne prend pas en compte les diverses pratiques agricoles existantes et en développement (de l’agroécologie notamment), comme le précise Laure Mamy, « sur certaines parcelles, outre le désherbage mécanique, certains agriculteurs peuvent faire le choix de pratiques alternatives comme le désherbage thermique, ou considérer que la présence d’adventices peut être tolérable jusqu’à un certain seuil. Il y a aussi des techniques qui consistent à couper les mauvaises herbes avant qu’elles ne fleurissent pour réduire le risque qu’elles se re-sèment. ». L’agriculture est un système complexe, englobant sols, biodiversité, sécurité alimentaire, santé économique des exploitants, nappes phréatiques, qui ne peut se résumer à ces deux options dans un contexte additionnel de changement climatique.  A ce titre, la chercheuse poursuit « ce qu’il y a de sûr, c’est que l’interdiction du glyphosate va permettre de réduire la pollution de l’environnement, de l’eau en particulier : on en trouve beaucoup dans les eaux de surface et les eaux souterraines, ainsi que la contamination des sols ». On peut légitiment aussi s’interroger sur les autres herbicides, et ceux qui seront utilisés en remplacement du glyphosate s’il était interdit.

Aujourd’hui, les outils (in)disponibles montrent que toute conclusion chiffrée est impossible à vérifier. Le 13 décembre 2018, la revue Nature a publié une étude menée par quatre chercheurs, qui proposent une méthode d’évaluation de la capacité d’une terre (sol et sa végétation) à atténuer les émissions de gaz à effet de serre, en fonction de son utilisation (forêt, pâturage, culture, élevage, etc) : Le « Carbon Benefits Index ». Cet index permettra peut-être un calcul de l’empreinte carbone de l’agriculture européenne.

 

N.Koskas ; M.Arnaud ; J.Chaillaud ; J. Pelisson; C.Beaumel ; M.Veys