Fact Check

Recycle-t-on vraiment 7 % de la production mondiale de plastiques chaque année ?

En septembre dernier, Jean-Luc Mélenchon, député français de La France Insoumise, a affirmé dans une vidéo que « sur les 360 millions de tonnes de plastiques produits chaque année, il n’y en a même pas 7 % de recyclés ». Une déclaration impossible à vérifier.

Dans une vidéo postée sur sa chaîne YouTube le 10 septembre dernier, Jean-Luc Mélenchon, chef de file du parti politique La France Insoumise, recommandait à ses abonnés de regarder Plastique, la grande intox, un épisode de l’émission « Cash Investigation » diffusé le jour suivant sur France 2. Pour les convaincre de s’intéresser au sort des déchets plastiques, le député français arguait :

Sur les 360 millions de tonnes de plastiques produits chaque année, il n’y en a même pas 7 % de recyclés. »

À l’heure où nous écrivons ces lignes, l’entourage de Jean-Luc Mélenchon, contacté, n’a pas fourni la source de ce pourcentage. Après enquête, il reste invérifiable.

Première imprécision, Jean-Luc Mélenchon ne dit pas clairement s’il se réfère à la production nationale, européenne ou mondiale de plastiques. En étudiant les données du marché publiées annuellement par PlasticsEurope, l’association des producteurs européens de matières plastiques, il semble que l’ordre de grandeur choisi par le député renvoie à la production mondiale et annuelle de plastiques non renforcés avec des fibres. En 2017, celle-ci s’élevait à 348 Mt, contre 322 Mt en 2015 et 250 Mt en 2009.

Des données sur les déchets pas toujours fiables

Pour l’année 2018, « les projections de la production mondiale avoisinent les 360 Mt », renseigne Hervé Millet, directeur des affaires techniques et réglementaires chez PlasticsEurope. Étant donné ces variations annuelles, employer l’expression « chaque année » pour faire allusion à la production mondiale de plastiques paraît contestable. En revanche, si Jean-Luc Mélenchon pensait seulement à l’année en cours, la quantité annoncée semble correcte.

Le pourcentage avancé par Jean-Luc Mélenchon demeure invérifiable à cause du manque de fiabilité des données sur le recyclage des plastiques et la gestion des déchets dans les régions les moins riches du monde. « En général, les données sur les déchets solides doivent être pris en compte avec une certaine prudence en raison des incohérences dans les définitions, les méthodologies de récupération des données et leur disponibilité », souligne le rapport de la Banque mondiale What a waste 2.0, a global snapshot of solid waste management to 2050 publié en 2018.

Quelle définition pour le taux de recyclage ?

Dans son rapport de 2016 sur l’économie des plastiques, la fondation Ellen MacArthur admet aussi que son analyse des flux mondiaux des emballages plastiques repose sur des jeux de données fragmentés et des définitions hétérogènes. En conséquence, la fondation pointe « la nécessité d’une meilleure harmonisation des normes et consolidation des données à l’échelle mondiale ».

Invérifiable également, la déclaration de Jean-Luc Mélenchon, car elle lie la production mondiale de plastiques à un hypothétique taux de recyclage. Or prendre la quantité de plastiques produits dans le monde comme référence pour avancer un taux de recyclage annuel est contestable. « On ne peut pas mettre en relation ces deux éléments, juge Carole Charbuillet, ingénieure de recherche en analyse de cycle de vie et recyclage des produits à l’École nationale supérieure d’arts et métiers (Ensam), car cela revient à occulter les durées de vie variables des produits plastiques divers. Ces produits ne sont pas seulement des emballages à la durée de vie très courte, même s’ils représentent un pourcentage important des déchets plastiques. Pour calculer un taux de recyclage, il est plus pertinent de partir des déchets plastiques générés, c’est-à-dire qui arrivent en fin de vie au cours d’une année choisie. »

Déchets collectés, générés ou consommation de plastiques

Du côté des producteurs de plastiques européens, plutôt que les quantités de déchets plastiques générés, on préfère utiliser les quantités de déchets plastiques collectées pour calculer un taux de recyclage. Par conséquent, seuls les déchets récupérés dans le cadre d’un système de ramassage officiel sont pris en compte. « Il y a une différence entre la production de matières plastiques et la quantité de déchets collectés. Aujourd’hui, on collecte les véhicules fabriqués il y a 20 ans, qui contiennent 12 % de plastiques. Dans 20 ans, on ramassera les véhicules produits aujourd’hui, qui sont eux constitués de 20 % de plastiques », avance Hervé Millet de PlasticsEurope.

Réalisé via Infogram

Pour Nathalie Gontard, directrice de recherche à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) qui travaille au développement d’emballages écoresponsables, cette méthode de calcul à partir des déchets collectés n’est pas bonne, « en raison des déchets plastiques non ramassés et des pertes au niveau des unités de recyclage ». La chercheuse de l’Inra estime que le taux de recyclage devrait être établi non pas par rapport aux déchets, mais à partir de la quantité de plastiques utilisés par les industriels qui produisent les objets plastiques.

Des estimations contestables

Or, d’après elle, cette consommation par les industriels serait globalement équivalente à la production de plastiques à l’échelle mondiale, ce qui pourrait justifier le lien fait par Jean-Luc Mélenchon entre la production mondiale annuelle et le taux de recyclage. En se fondant sur la consommation de plastiques par les industriels, Nathalie Gontard assume que le taux de recyclage ainsi calculé pourrait être sous-estimé : « Je pense qu’on a plus intérêt à raisonner ainsi, pour ne pas minimiser les effets néfastes sur l’environnement. Dans la situation actuelle, je trouve que les taux de recyclage sont optimisés. »

Enfin, l’assertion de Jean-Luc Mélenchon demeure invérifiable, car les estimations déjà publiées d’un taux de recyclage mondial des déchets plastiques sont seulement indicatives. Ainsi, le rapport de la fondation Ellen MacArthur de 2016 sur les emballages plastiques, pointe que seuls 14 % de ces emballages ont été collectés pour être recyclés en 2013. Cependant, les auteurs du rapport rappellent qu’« à cause de la contamination, de l’humidité et des erreurs de tri, tout ce tonnage [les 14 %] n’est pas recyclé in fine ».

Impossible de donner un taux de recyclage mondial et annuel des plastiques

En ce qui concerne les déchets plastiques en général, l’évaluation du taux de recyclage mondial fourni dans l’étude Production, use, and fate of all plastics ever made, parue en 2017 dans la revue Science Advances, est souvent citée. Ses auteurs américains écrivent que le taux de recyclage mondial représentait 18 % des déchets plastiques non renforcés avec des fibres générés en 2014. Ce pourcentage est donc calculé via un modèle mathématique prenant en compte les durées de vie des produits. Toutefois, les auteurs du rapport Improving markets for recycled plastics, trends, prospects and policy responses de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) publié en 2018 écrivent à propos de cette étude : « La source sous-jacente des données est relativement robuste pour l’Europe et les États-Unis, mais de relativement faible qualité pour les autres régions, donc [l]es estimations peuvent seulement être considérées comme indicatives. » À noter que les auteurs de l’étude américaine ont cherché à corriger ce défaut, tout en reconnaissant que « dans de nombreuses régions du monde, les données étaient parcellaires et de basse qualité ».

On l’aura compris, difficile de donner un taux de recyclage mondial et annuel des plastiques, qui lèverait toutes les incertitudes. Mais pour l’ingénieure de l’Ensam Carole Charbuillet, l’intérêt est ailleurs : « Au fond, le message, c’est qu’on ne recycle pas assez. »

L. Chassagne, C. Altenburger, M. Le Rest, R. Taillefer, A. Passilly, S. Ouabi et J. Grelier